»Yes Man », le pouvoir de dire »OUI »
Alors là, je dis « oui », cent fois « oui », mille fois « oui » même ! Disons le tout de go, le nouveau Jim Carrey est une véritable bombe, que dis-je, il dépasse de loin ce stade en ce qu’il transcende les émotions que le cinéma nous avait habitué à offrir. « Yes man » est le genre de film qui, bien au-delà de la comédie, véhicule un message universel qui, pour peu que l’on y soit réceptif, vous touche au plus profond de vous. Le genre de film auquel, à la faveur de personnages mieux écrits (et interprétés) les uns que les autres, on peut aisément s’identifier. Le genre de film qui me rappelle pourquoi j’aime le Cinéma. « Yes man », bien plus qu’un film, une thérapie !
Cette question pourrait résumer le film. Pourrait seulement puisque, nous le verrons, l’articulation est légèrement plus complexe qu’elle n’y paraît de prime abord et résumer le film à cette simple interrogation aurait quelque chose de réducteur. Mais avant d’aborder un compendium sans prétention aucune de la dernière production de Peyton Reed, il convient, je pense, de resituer ce film dans son contexte.
Ainsi, au risque d’en décevoir certains, il ne s’agit aucunement d’un scenario original en ce qu’il est en fait l’adaptation pour l’écran de l’ouvrage éponyme de Danny Wallace (aucune comparaison possible cependant, de ce livre je n’ai lu que la préface et très brièvement survolé en diagonale le texte ). En fait, au lieu d’ouvrage, le terme idoine serait plutôt « mémoires » puisque, dans ce livre, Danny Wallace rapportait les résultats d’une expérience à laquelle il se livra corps et âme six années durant, expérience consistant à répondre « oui » à toute demande lui étant adressée.
Le film reprend donc le même principe, tout en l’adaptant au format cinématographique, mais surtout au jeu sans limite de Jim Carrey (nous aurons l’occasion d’y revenir infra). L’acteur canadien y campe Carl Allen, un monsieur tout-le-monde que diverses épreuves ont amené à se renfermer sur lui-même, jusqu’à refuser tout semblant de vie sociale. Bref, un homme comme il en existe tant dans nos sociétés occidentales, un homme qui survit plus qu’il ne vit. No future… Jusqu’à ce qu’une double rencontre ne change radicalement sa façon de vivre et l’oblige à s’ouvrir aux opportunités que lui offre la vie, s’ouvrir aux autres et finalement se découvrir lui-même.
Car ne vous y trompez aucunement, sous couvert de comédie ce film ne se veut pas seulement une apologie de la positive attitude, il raconte surtout l’histoire d’un homme en quête de lui-même. Le thème philosophique de l’acceptation est à ce titre omniprésent tout le long du film. L’acceptation d’autrui, mais avant toute chose, l’acceptation de soi. Le concept du « oui », bien que des plus commodes pour confronter Jim Carrey à des situations toujours plus délirantes et/ou loufoques, est à mon sens un prétexte à la poursuite de cette quête personnelle. Pris dans un engrenage qui le dépasse (comme en témoigne parfaitement la scène où Allison lui demande de s’éloigner d’elle à la sortie de l’aéroport), Carl Allen va aller jusqu’au bout de lui-même pour enfin se (re)découvrir. Pour cela, il n’hésitera pas à se mettre dans des situations périlleuses à bien des égards (le saut à l’élastique étant le point d’orgue de scènes allant dans ce sens, telles celles de la voisine perverse, de la fabrique industrielle de poulets sous-vide, ou encore le moment déchirant où il doit annoncer à Norman que la direction a décidé de fermer l’agence dont il est le directeur). Le film montre en effet avec une rare justesse que ce processus a un coût d’autant plus élevé que le challenge à relever est grand : si apprendre le coréen, à jouer de la guitare ou même à piloter peut être perçu de manière positive, il ne faut pas omettre que Carl Allen se fera tabasser, prendra des cuites monumentales, des risques inconsidérés et sera amené à faire des choix douloureux afin de se conformer à sa nouvelle doctrine. Ce n’est qu’au bout de ce voyage initiatique, dans lequel le spectateur se laisse volontiers entraîner, que Carl Allen réapprendra le sens des limites mais également le libre arbitre. En d’autres termes, ce rite initiatique est un passage obligatoire pour que le protagoniste (et à travers lui toutes les personnes happées par une dynamique négativiste) apprenne à réinvestir sa vie.
Mais tout bon que puisse être le scenario, on connaît la prépondérance des acteurs dans la réussite d’un film de genre. En l’occurrence, le spectateur peut s’estimer privilégié tant « Yes Man » regroupe une brochette d’acteurs, souvent méconnus, mais talentueux ; brochette emmenée tambours battants par un Jim Carrey tout simplement exceptionnel.
Je n’ai jamais fait mystère du fait que je place Jim Carrey sur la plus haute marche de ma hiérarchie des acteurs. A mes yeux, il est capable de tout jouer, de véhiculer toutes les émotions qui peuvent l’être par le vecteur de la caméra. Loin de n’être qu’un clown burlesque aux grimaces légendaires (Dumb & Dumber ; Me, Myself & Irene, Ace Ventura…), il peut aborder des registres plus dramatiques (The Majestic ; Eternal Sunshine of the Spotless Mind ; Man on the Moon), vous faire passer du rire aux larmes (The Truman Show), tout autant qu’il peut incarner des personnages inquiétants et/ou survoltés (The Cable Guy, The Number 23, Lemony Snicket's A Series of Unfortunate Events).
Ce film a la particularité de mettre en exergue la quasi-totalité des ses talents d’acteur. A ce titre, il n’a pas hésité à donner de sa personne, à s’investir dans le projet comme jamais afin de donner une âme à ce film qui lui tenait tant à cœur de jouer (il a fait le forcing pour prendre le rôle titre qui semblait prédestiné à Jack Black en première écriture). Il se démultiplie et le résultat est détonnant : Jim Carrey pilote avion et moto, parle coréen, saute à l’élastique, joue de la guitare, chante,… (il voulait même s’essayer au body blading mais la direction – et les assurances – ont opposé leur veto) repoussant, à l’instar du rôle qu’il interprète, sans cesse ses limites… pour notre plus grand bonheur. Durant 1h43, il nous communique son énergie débordante et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on ressort de la séance avec une patate d’enfer. La force de Peyton Reed a été d’avoir su canaliser cette énergie et la distiller à la perfection. Ainsi, Jim Carey n’en fait pas des tonnes comme ce put parfois être le cas lors de collaborations précédentes avec certains réalisateurs qui n’avaient pas forcément perçu son énorme potentiel, ou tout simplement pas su l’exploiter à sa juste valeur (Liar Liar ; The Mask ; ou encore, à un degré moindre, Bruce Almighty). Ici, il joue juste et bien. Il ne rend pas hommage à la quête poursuivie par son alter ego, il l’incarne littéralement. Le regarder se mouvoir devant la caméra de Peyton Reed est une suprême jouissance tant il fait céans montre d’implication, d’application et de sincérité.
Il serait injuste de clore ce chapitre sans un mot pour la pléiade d’acteurs accompagnant Jim Carrey dans sa quête. Car, même si le film est tellement bien écrit que les personnages, même les plus insignifiants, en deviennent attachants, force est de constater qu’ils sont en plus tous bien interprétés. Mention spéciale à trois d’entre eux tout de même. Terence Stamp (Star Wars épisode 1 ; My boss’s daughter ; Wall Street ; The Limey…), tout d’abord, qui en vieux briscard nous gratifie d’une apparition – en tant que guest star – des plus savoureuses. Son interprétation de Terence, sorte de gourou des temps modernes, est tout simplement irrésistible. Ensuite vient Rhys Darby que j’ai découvert avec ce film. Il y joue le supérieur de Jim Carrey, sorte de vieux garçon comme il en existe tant dans nos sociétés, un brin renfermé, beaucoup refoulé, le « gentil » par excellence qui souffre d’un cruel manque de reconnaissance et d’affection (dans la vie personnelle comme professionnelle). Que dire d’autre que son interprétation est émouvante à plus d’un titre ?! Difficile de ne pas se prendre de sympathie pour ce personnage secondaire tant il est bien écrit et joué… Enfin, last but not least, la bonne surprise de ce film est à mettre au crédit de Zooey Deschanel (The Happening ; Failure to Launch ; Bridge to Terabithia…). Cette actrice qui n’avait encore jamais réussi à me convaincre, malgré ses collaborations avec d’autres acteurs et réalisateurs talentueux au sein de projets ambitieux, m’a cette fois-ci réellement bluffé en rendant une partition concluante. Non pas qu’elle pourra prétendre à l’Oscar d’interprétation, elle donne cette fois-ci l’impression de maîtriser son sujet, peut-être à la faveur d’un registre plus en phase avec ses propres facultés. Toujours est-il qu’elle fait merveille dans son rôle de jeune marginale, un tantinet paumée, laissant libre cours à ses envies plutôt qu’aux obligations dictées par la société. Pour information, musicienne à ses heures, elle a participé à l’écriture et à la composition de plusieurs morceaux présents dans le film, notamment les chansons qu’elle interprète sur scène avec ses acolytes du groupe Proxy.
Je vous l’avais dit, l’une des innombrables forces de ce film tient dans ses acteurs, mais avant tout dans ses personnages. Difficile de ne pas se reconnaître dans l’un d’entre eux, et par conséquent, difficile de ne pas se sentir investi dans ce film. Au-delà du propos et des thèmes sous-jacents déjà abordés, c’est également dans l’interprétation des acteurs que réside sa profonde sincérité qui saura faire mouche.
On en ressort grandi
Il y aurait tant encore à dire sur ce film. De la réalisation sobre mais efficace (au risque de me répéter, la grosse performance Peyton Reed tient à la mise en scène maîtrisée de bout en bout), jusqu’à la bande son qui accompagne parfaitement le déroulement scénaristique (jusqu’aux paroles des chansons choisies !), rien ne semble avoir été laissé au hasard. Le résultat est surprenant à plus d’un titre, et je ne me lasse pas de revoir ce film. A propos, mention honorable aux doubleurs français qui ne sont pas passés à côté de leur sujet cette fois-ci (Fun with Dick and Jane avait vraiment perdu de son pep du fait de la traduction). Mais, dans la mesure du possible, je vous conseille vivement un visionnage en V.O. pour saisir toutes les subtilités de certaines répliques.
Au moment de conclure cette review, j’aimerais dans un premier temps citer une phrase de Jim Carrey : « dites-vous bien qu'on regrette rarement les choses auxquelles on a dit oui. Alors qu'on regrette le plus souvent celles qu'on aura laissées passer ». Bien qu’elle invite à une méditation personnelle, elle ne nécessite aucun commentaire supplémentaire aussi passerais-je directement au second point. Ainsi, j’aimerais insister sur le fait que ce genre de film se fait trop rare au cinéma. Un film qui propre à donner la pêche à toute personne qui le visionnera. Mais surtout un film qui, si on se donne la peine de l’analyser, peut apporter son lot de réponses à des maux biens actuels. C’est en cela qu’il constitue une véritable thérapie ; par le rire, mais pas que…