« Journal de Rorschach, 12 octobre 1985 : Ce matin carcasse de chien dans une ruelle, trace de pneu sur ventre écrasé. Cette ville me craint. J’ai vu son vrai visage. Les rues : des caniveaux géants, et les caniveaux sont plein de sang et quand enfin les égouts refouleront toute la vermine sera noyée. Toute l’ordure accumulée de leur sexe et de leurs meurtres moussera jusqu’à leur cou, et toutes les putes et les politiciens lèveront la tête, criant « Sauvez-nous ! » … et d’en haut je regarderai et chuchoterai « Non ».«
C’est avec ces quelques lignes que commence le récit de l’un des meilleurs comics. Watchmen est souvent qualifié de graphic novel, terme marketing qui permet de vendre à un prix plus élevé des comics reliés (Watchmen est composé de 12 comics de 32 pages). Ce terme a surtout pris au près d’un public qui se veut plus mature et qui ne lit pas des comics, bien trop ringard, mais des graphic novels, bien plus respectables… A l’origine graphic novel était sensé être un gage de qualité, aujourd’hui ça n’a pas vraiment de sens.
Alan Moore
Alan Moore est l’un des scénaristes de comics les plus doués et talentueux qui existe. Mais plutôt que de faire de longs discours sur ce génie je vais me contenter, en feignasse que je suis, de citer quelques une de ses œuvres, qui je pense parlent d’elles mêmes :
V pour Vendetta
Watchmen
Captain Britain
Swamp Thing
Batman the Killing Joke
From Hell
Spawn
Top 10
La Ligue des Gentlemen Extraordinaires
Lost Girls
…
Cette liste est très loin d’être exhaustive mais elle donne une idée de ce dont Moore est capable. Connu pour son caractère et son franc parlé, il a été dégouté par les « abus » et les contrats très désavantageux que les big two des comics (Marvel et DC) proposent aux artistes et a juré ne plus jamais bosser pour eux. Adapter son travail pour le cinéma, il est contre et le fait clairement savoir. Si vous regardez le générique du film V pour Vendetta vous vous rendrez compte que son nom n’y figure pas, seul le nom de Lloyd (le dessinateur) est mentionné. Pourtant V pour Vendetta est clairement une adaptation réussie. Il faut dire que les adaptations de From Hell, et surtout de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires l’ont bien refroidi ! Notons le cas d’un producteur particulièrement brillant et fin qui a tout fait pour inspirer confiance en lui a proposant de créer une Ligue des Animaux Extraordinaires! Moore n’aurait pas besoin d’en faire une BD mais juste de mettre son nom sur la merde que le studio allait pondre. Il n’en fallait pas plus pour que Moore clame que les films inspirées des comics ne fonctionnent pas car dans l’industrie cinématographique, à la fin, ceux qui prennent les décisions sont les comptables.
Who Watches the Watchmen ?
Watchmen est le seul comics à faire parti du « Top 100 des meilleurs romans en langue anglaise de 1923 à nos jours » établi par le Time en 2005. Ceci est d’autant plus notable dans une société où la bande dessiné est très souvent vu de manière très caricatural. Beaucoup d’américains pensent que le vendeur de comics des Simpsons est très réaliste. C’est de moins en moins le cas, mais les clichés ont la vie dure. En parlant des Simpsons, j’en profite pour mentionner l’épisode « Husbands and Knives » (épisode 7 de la saison 19) où Moore fait une apparition assez marrante.
Bref, pour en revenir à Watchmen, il est suffisamment rare qu’une BD soit considérée comme étant de la littérature pour que je le mentionne. Cette nomination me parait totalement justifiée, Watchmen est magnifiquement écrit. L’intrigue est passionnante et intelligente. On a le droit à des points de vue différents sur le bien et le mal. Les héros ont des visions différentes de la justice. Les approches d’Ozymandias et de Rorschach sont diamétralement opposées, mais jamais Moore ne prend parti. Il laisse au lecteur le soin de se faire une opinion. Dave Gibbons a su merveilleusement mettre en image le texte de Moore. Gibbons est un dessinateur au trait fin et très réaliste. Ses dessins sont pleins de subtilités et très expressifs. Son découpage des planches est génialissime. Sans son talent, Watchmen n’aurait surement pas eu le même impact.
Une adaptation réussie ?
Pour moi la réponse est « un OUI franc et massif » pour reprendre une phrase qu’on peut régulièrement entendre sur M6. Le boulot pour transposer ce comics sur grand écran était titanesque. Le statut culte de l’œuvre rendait toute adaptation très délicate mais il en faut plus pour effrayer Zack Snyder qui après s’être attaqué aux 300 guerriers spartiates de Miller s’attaque aux Gardiens de Moore. Visuellement c’est très réussi, l’image est superbe. L’ambiance du comics est véritablement présente à l’écran. Le jeu des acteurs est très bon. Mention spéciale pour l’acteur Jackie Earl Haley qui incarne Rorschach. Son interprétation est très proche de la façon dont Moore lit les dialogues de Rorschach, comme vous pouvez le constater ci-dessous.
La bande son du film est génial : on a droit à du Bob Dylan, du Simon et Garfunkle, du Jimie Hendrix… excellent ! Question fidélité, le film est très proche du comics, il y a quelque différences mais rien de fondamentale. Le changement le plus flagrant concerne la fin du film lorsqu’Ozymandias fait sauter New York il ne le fait pas avec une « bombe » imitant l’énergie de Dr. Manhattan mais avec une sorte de pieuvre géante extraterrestre (qu’il a en fait crée) qui serait morte en arrivant dans leur dimension. L’impact de l’action d’Ozymandias reste le même, il a réussi à instaurer la paix. Dans le film, les Watchmen ont une force surhumaine, ça n’est pas le cas dans le comics où le seul être doté de super pouvoir est le Dr. Manhattan. Parmi les différences sans importances on peut citer les costumes de certains des personnages (je pense entre autre à Ozymandias, au Hibou, et au Spectre Soyeux). Ce qui manque au film par rapport au comics ce sont surtout les intrigues secondaires :
Celle du vendeur de journaux et du lecteur de comics et de plusieurs humains normaux, ce qui nous donne un autre point de vue des événements,
Le journal New Frontiersman est présent tout au long du récit, sans ça la dernière scène semble un peu sortie de nulle part,
On nous explique d’où vient Bubastis, l’animal de compagnie qu’Ozymandias qu’il a crée génétiquement,
Les flics enquêtes sur les masqué, et c’est pour ça qu’ils sont là pour capturer Rorschach chez Moloch. Ils sont certes aidés par les infos qu’Ozymandias leur donne mais on comprend mieux pourquoi ils sont là.
On nous montre l’assassinat du premier Hibou par une bande de voyou. Cette mort à lieu quand Dan commence à reporter le costume du Hibou et que la police le traque. Cette mort a un impact important sur son comportement,
Les « cigarettes » de Spectre Soyeux ont disparues, c’est d’ailleurs en croyant appuyer sur l’allume cigare dans le vaisseau du Hibou qu’elle met le feu,
On nous explique d’où vient le masque de Rorschach. Il provient d’un tissue fabriqué par Dr. Manhattan.
Lorsque Rorschach est en prison il explique au psychiatre qu’il se déguisait en Rorschach puis qu’il est vraiment devenu Rorschach que lorsqu’il a tué le pédophile cannibale. Dans la bd il explique c’est lorsqu’il a tué le premier chien que le changement à eu lieu. C’est pour ça que l’image du « joli papillon » lui évoque un crane de chien fendu en deux. Lorsqu’il affronte le pédophile, il le menotte comme dans le film mais au lieu de lui fracasser le crane il lui jette de l’essence dessus, lui donne le hachoir et lui dit que les menottes sont trop résistante pour être coupées puis il allume une allumette et la lui jette dessus. Il sort tranquillement du bâtiment et remarque que l’ordure ne s’en est pas sorti. Je trouve que ça fait une différence assez importante dans la psychologie du personnage puisqu’au lieu d’un acte de violence lié à la colère on a droit à une véritable torture,
Le Hibou et Rorschach débarquent chez Ozymandias pour lui demander de l’aide et ce n’est qu’en cherchant à le retrouver qu’ils découvrent ses secrets,
Le mot de passe d’Ozymandias ne traine pas sur un livre en évidence sur son bureau, le Hibou le découvre car il sait que le nom égyptien d’Ozymandias n’est autre que Ramses II,
Archie, le vaisseau du Hibou, ne fonctionne plus en Antarctique car il est resté un certain temps sous l’eau lorsque Rorschach et le Hibou se cachaient de la Police,
A la fin de chacun des 12 comics on a le droit à des bonus : des extrait du livre écrit par le premier Hibou, le rapport psychiatrique de Rorschach après qu’il soit passé par la case prison et qu’il n’ait pas eu ses 20 000 francs, des Magazines sur le premier Spectre Soyeux, des documents des entreprises Veidt, des lettres échanger entre les personnages et ayant permis la création des Minutemen (la première génération de super-héros)… Tous ces bonus donnent de la profondeur au récit.
Il y a surement d’autres détails qui ne sont pas passés sur le grand écran auxquels je n’ai pas pensé, mais malgré ça ce film reste une réussite qu’il serait dommage de rater. Et je ne saurais que trop recommander la lecture de l’original pour apprécier pleinement ce film (d’autant plus qu’une version à moins de 15€ est sortie à l’occasion du film). J’attends avec impatience le DVD, car il y aura une version director’s cut d’environ 3h30 (au lieu de 2h45) !