Indiana Jones 4: »Kingdom of the Crystal Skull »
« Quoi, mais qu’est-ce donc que cela ? » s’insurgerait un Manoux prenant connaissance de la publication en ces pages d’une analyse aussi tardive qu’inattendue du dernier opus de la tétralogie Indiana Jones. Recyclant par là même bon nombre de mes remarques adressées à l’époque de sa sortie, je veux céans corriger une infâme injustice qui, par manque de temps, m’avait conduit à me faire l’économie d’une analyse substantielle de celui qui, plus encore que Temple of Doom, demeure l’épisode le plus controversé de la saga. Je profite donc d’un (énième) visionnage du film dans des conditions optimales (comprenez par là BRD + Full HD + Home Cinema) pour répondre aux critiques pour le moins acerbes envers ce quatrième opus consacré au plus célèbre des archéologues. Cette tribune sera ainsi pour moi l’occasion d’apporter un éclairage nouveau sur le film en m’appuyant sur les critiques les plus souvent émises à son encontre.



Spielberg, l’assurance tout-risque
Commençons par des considérations purement techniques. Franchement, que voulez-vous de plus? La réalisation est globalement d'excellente facture. Une fois encore, Steven Spielberg nous gratifie de plans et autres prises de vue dont lui seul possède le secret. Je n'en ferai pas une liste exhaustive ici tant il y en a, mais citons simplement l'ombre d'Indy reflétée dans la voiture alors qu'il ramasse son chapeau, les prises panoramiques dans les cascades amazoniennes, les couleurs choisies alors qu'Indy, au premier plan, contemple le champignon nucléaire (avec un léger travelling vers le haut et la petite musique dramatique de John Williams qui sied si bien à la scène), ou tout simplement le décollage de l'OVNI qui constitue ni plus ni moins que la plus belle scène du genre à l'heure actuelle. La course poursuite en side-car est également une véritable prouesse technique, tant au niveau de la direction qu’au niveau de l’esprit en totale harmonie avec ce à quoi nous avait habitué la série. L’arrivée finale dans la bibliothèque de l’université est, à ce titre, à la fois extrêmement bien fichue sur le plan technique, mais en plus totalement hilarante de loufoquerie.
Il ne faut pas non plus occulter la beauté des costumes et autres maquillages, avec une mention spéciale à destination des décors qui, pour certains, m'ont littéralement scotchés sur place. Alors certes, Indy 4 est le plus numérique des épisodes de la série (même si Spielberg a fait le forcing pour conserver quelques effets "old-school"), oui Indy 4 souffre par moment de quelques défauts de photographie post-production ou encore d’incrustation (notamment dus à la superposition d’FX classiques sur des scènes tournées en fond bleu), mais le résultat global est toutefois de nature à flatter les rétines les plus pointilleuses. D’autant que, au risque de me répéter, les couleurs sont magnifiquement choisies, et l’édition BRD rend en ce sens un hommage bien plus authentique à l’œuvre que n’avait su le faire la toile de la salle obscure lors de son exploitation au cinéma.
Pour rester dans le registre de la réalisation, il est bon de rappeler que les acteurs sont dirigés de main de maître, qu'ils se trouvent au premier ou au second plan d'ailleurs (à l’exception notable de Shia Labeouf, non seulement un peu tendre pour ce genre de rôle, mais envers qui je développe une certaine répulsion physique). Cate Blanchett est absolument sublime et l'aspect psychologique de son personnage est plus fouillé que bon nombre des anciens belligérants auxquels Indy fut confronté par le passé… ce qui n’est paradoxalement pas sans provoquer une certaine frustration. En effet, devant un personnage si bien écrit (et interprété), on aurait apprécié en apprendre davantage sur son passé, ses relations particulières avec le pouvoir communiste, ses affinités, etc… Quant à John Hurt, il est tout simplement jubilatoire dans un rôle qui lui sied à la perfection. Globalement, le casting – tout comme la mise en scène – est une franche réussite, à l’image des russes qui, nonobstant un doublage français leur donnant par moments un accent quelque peu « étrange », sont réellement convaincants. C’est là l’une des marques de fabrique du maître – et l'une de ses indéniables forces – que de réussir à chaque fois à obtenir le meilleur des acteurs qu’il dirige, quand bien même les acteurs en question ne seraient que de « vulgaires » figurants. Au premier comme au deuxième plan, chaque acteur se sent concerné par l’action et cela contribue grandement à l’implication personnelle du spectateur.



Culte, vous avez dit culte ?
Les précédents opus avaient cette particularité de tous proposer leurs lots de scènes cultes. Ce dernier en date ne déroge pas à cette règle immuable. La scène dans les sables mouvants (qui d'ailleurs n'en sont pas) est tout bonnement géniale, tout comme la scène voyant les entités interdimensionnelles fusionner, et particulièrement la scène finale où Indy vient récupérer in extremis son légendaire chapeau alors que son fils allait l'endosser.
Pour le reste, les répliques sonnent toujours juste preuve que le film a été très soigné au niveau de l'écriture. Là encore, certaines sont appelées à devenir cultes auprès des fans de la première heure tant elles collent à la personnalité hors-norme du Docteur Jones, ou bien à l’univers que Georges Lucas et Steven Spielberg ont créé autour de lui (en voici un petit florilège: «pareil, tout pareil », « elles avaient toutes le même problème, elles n'étaient pas toi chérie », « vous avez quel âge, 80 ans? », « votez Eisenhower », « c'était bien avant que je ne sois ton père », « -Vous êtes prof? – A mi-temps »… et j'en passe des tonnes). Dans le même registre, je ne compte même plus le nombre de références visuelles et sonores aux opus précédents (ce qui est un vrai régal pour quiconque aime scruter le film jusqu'à la moelle). Puisque l'on aborde le sujet, la musique de John Williams, sans révolutionner les canevas de la saga, nous propose un nouveau thème lié au rejeton d'Indy et quelques envolées majestueuses lors des moments-clef de l’histoire, ce qui est toujours jouissif. Les effets sonores sont, quant à eux, de très bonne facture. Pas du très grand John Williams, mais du John Williams efficace malgré tout.
Et le scenario alors ?
En guise de préambule, je tiens à préciser que l'orientation SF/fantastique du scénario ne me dérange en aucun cas, dans la mesure où d'une part c'est un genre avec lequel la saga a toujours flirté (même de manière moins prononcée que dans ce quatrième volet), mais surtout parce que cela reste intimement lié à des légendes ancestrales ou des faits historiques majeurs (Roswell, par exemple, et n'en déplaise à certains, demeure un point névralgique de l'Histoire). A mon sens, la présence d'êtres interdimensionnels endormis depuis des siècles n'est pas moins plausible que des arracheurs de cœur ou un Graal aux vertus guérisseuses délimitées géographiquement par une stèle dans une grotte (ou comment restreindre le pouvoir divin au moyen d’un petit détour chez brico-marché…).
Il y aurait beaucoup de points à soulever si l’on devait s’attaquer en profondeur au scénario tant celui-ci est riche et particulièrement complexe quant à son articulation. En cela, ce nouvel épisode tranche littéralement avec les opus précédents qui étaient d’une grande limpidité, et donc accessibilité. Ici, et pour la première fois dans la saga, le spectateur pourra sentir une certaine frustration à ne pas pouvoir saisir toutes les subtilités du scénario du prime abord. Il devra pourtant passer outre ce sentiment et aller de l’avant, traquer le moindre détail, flairer tel Finaud le plus insignifiant indice, analyser la plus anodine des répliques, s’il veut s’approprier l’œuvre dans son intégralité. La scène finale qui voit les êtres interdimensionnels fusionner avant de « tout exploser » apparaît, à ce titre, comme un parfait exemple de la scène qui peut paraître totalement incohérente, voire absurde, si l’on s’est fait l’économie d’une étude méticuleuse du film.
Si malgré tout, vous persistez à penser que la trame générale est inconséquente et irrationnelle, il vous faut garder à l’esprit que le présent scénario est le fruit consensuel de plus de dix années de travail et a été sélectionné parmi tous les autres. Je pense, à ce titre, qu’il mérite certains égards et notamment le bénéfice du doute quant à sa cohérence globale. Maintenant, s’il s’avère exact que celui-ci est plus torturé que ses prédécesseurs, il convient d’en donner des explications. J’en vois, pour ma part, trois distinctes. La première émanerait d’un montage final moins fluide qu’à l’accoutumée. J’évacue directement cette hypothèse à la lumière des multiples visionnages du film qui ont fini par me convaincre de son efficacité. La seconde serait la résultante que, pour la première fois, le Dr Jones n’est pas celui qui déchiffre, celui qui analyse, celui qui découvre, mais celui qui suit, tel le fin limier, un jeu de pistes particulièrement retors. Ho certes, Indy nous fait montre par moments de sa culture historique, antique et mythologique, et d’un esprit déductif toujours aussi aiguisé, mais pour l’essentiel il se contente d’interpréter et de s’interroger sur des découvertes opérées par le Professeur Oxley. Autre méthodologie, autre dynamique, autre articulation scénaristique ? Cela fait effectivement partie des plausibilités, mais la troisième hypothèse – à mes yeux la plus séduisante – est de penser que la volonté de l’équipe technique était de produire un pan de la saga volontairement tortueux, i.e. un épisode dont la délicieuse substance serait réservée aux braves qui dépasseraient l’éventuelle frustration initiale pour la dénicher là où elle se trouve, c’est-à-dire dans des mises en situation travaillées et des dialogues plus savoureux les un que les autres.
Cependant, il convient désormais de nuancer quelque peu ces propos au demeurant si élogieux. Car, effectivement, n’en déplaise aux « barbie girls », tout n’est pas rose dans le monde d’Indy (comprendra cette allusion pathétique qui pourra). Il est clair que cet épisode n'est, à mon sens, pas le meilleur de la série (mais pas forcément le plus mauvais) la faute en incombant à la présence de certaines scènes moins réussies que celles dont j'ai bien voulu me faire l’écho en amont. Pensons à la scène où Mutt se trimballe de liane en liane au milieu des singes, ou encore à celle mettant en scène des fourmis carnivores un peu trop grosses à mon goût et, dans l’ensemble, plutôt mal réalisées. Une fois encore, et au risque de me répéter, les enchaînements scénaristiques se font de manière moins fluide que ce put être le cas dans les épisodes précédents (The Last Cruisade fait figure, à ce titre, de référence absolue), et appréhender toutes les subtilités de cet opus nécessitera, à n’en point douter plusieurs visionnages. Vous l’avez compris, je ne considère pas ce manque de fluidité comme étant un gros point noir, mais plutôt comme une récompense dévolue à celui qui passera outre cet aspect. Cependant, et c’est pour le moins paradoxal, malgré cette apparente complexité d’un scénario au demeurant pas mal fignolé, certains raccourcis un peu trop abrupts ont parfois été abusivement utilisés et auraient gagné à être traités avec un peu plus de profondeur. Encore moins excusables sont les quelques incohérences, notamment comportementales, qui surviennent, en particulier vers la fin du film (comment une vulgaire taupe à la solde des russes peut-elle disposer, en 1957, de balises miniatures étanches et ultra-résistantes? Comment une poignée de russes fatigués et mal équipés parviennent sans mal à éliminer une centaine de teigneux indigènes? Comment ces mêmes russes parviennent-ils à pénétrer dans le vaisseau spatial alors que les marches y menant se sont repliées sur elles-mêmes après le passage d’Indy et de ses acolytes? Ou alors, quel intérêt peut bien avoir Mac qui, une fois blanchi et les russes hors du coup après la scène de la cascade, n’a de toute évidence plus aucune raison objective de les guider vers l’emplacement d’Akator?).
L'esprit également n'est plus tout à fait le même mais, pour cette fois, cela se justifie amplement si l'on prend ce quatrième épisode comme la fin d'une ère et le début d'une autre. L'époque n'est plus la même, notre héros bien plus marqué par le temps et par les épreuves que jadis (ce qui lui donne un petit côté cynique absolument délectable par ailleurs)… Mais est-ce une tare? Je ne le pense définitivement pas. L'orientation choisie par Spielberg et Lucas de faire vieillir Indy et de laisser se dessiner un éventuel successeur légitime (faisant ici écho au thème de la paternité si cher à Spielberg) ne me semble pas plus mauvaise que de faire survivre la franchise en remplaçant l'acteur principal un peu à l'instar des James Bond, au contraire même (tout juste aurais-je éventuellement choisi un autre acteur que Shia Labeouf pour assumer cette tâche).
He’s definitely back!
Une fois n’est pas coutume, je conclurais cette review par une simple remarque: après six visionnages du film, je ne ressens toujours pas le moindre phénomène de satiété, même si la phase de découverte semble être définitivement révolue… Vous l’aurez compris, contre vents et marées, je me pose là comme un farouche défenseur de ce quatrième opus qui, s’il ne me fera pas oublier Raiders of the Lost Ark ou the Last Cruisade (il n’en a du reste pas la vocation), reste à mes yeux une franche réussite… en attendant les deux prochains opus qui auront la lourde tâche de clôturer la saga comme il se doit et justifier nombre de choix artistiques opérés dans ce Kingdom of the Crystal Skul. Toujours est-il que cet épisode, un peu à l’instar de Star Wars épisode 1, doit être perçu comme le prologue d’une nouvelle ère. A ce titre, nous pourrons lui pardonner quelques faiblesses, tout en restant particulièrement vigilants à ce que Spielberg et Lucas ne tombent pas dans la facilité lors des prochains épisodes (gageons que le perfectionnisme de Spielberg s’érigera tel un garde-fou aux pulsions malsaines poussant le Seigneur Dark-Lucas à monétiser, jusqu’à les détruire, les œuvres ayant fait sa gloire). Pour l’heure, ne boudons pas notre plaisir de suivre et de décortiquer les nouvelles aventures d’Indy en BRD, c’est définitivement trop bon…